Un cours de torture comme les autres [club de danse ] - libre -

Lys hurlait, moulé à l'acide dans ses vêtements de sports. La musique couvrait presque le son de sa voix. La danse n'était pas qu'un affaire d'expression mais corporelle mais aussi de discipline. En particulier dans les petites classes. Il glissa doucement au sol et écarta les jambes pour passer sur son grand écart facial, attendant visiblement un effort de la part du reste de la salle. Le cours était libre et ouvert à tous, c'était un cours de barre au sol. Appelé aussi cours de torture. Deux longues heures d'abdominaux, de pompes, d'étirements musculaires à la limite du supportable, et d'un mélange habile des deux afin de faire comprendre à quel point la douleur pouvait atteindre des zones du corps qu'on ne pouvait soupçonner.

Il glissa lentement le ventre au sol, dans une position qu'on ne donnait en général qu'aux barbies articuler, par jour de grand ennui. Non sans hurler sur le reste de la salle qui se contentant de se pencher en avant, les jambes vaguement écartées. Le roux se redressa rapidement et alla voir un par un ses petits élèves pour leur pousser lentement le dos, afin de leur démontrer que non, douleur ne voulait pas dire incapacité. Incapacité signifiait blocage et "réelle douleur". Il rappela à une jeune adolescente à quel point avoir un petit bidon était disgracieux, elle daigna faire ses exercices correctement.

La terreur et la culpabilité étaient deux armes pour le "professeur" Lysander. Son cours de club se transformait depuis quelques semaines en une institution quasi militaire. En particulier le cours de barre au sol, pur entraînement sportif. Tiens 50 abdos,et toi une quinzaine de pompes. Il passait les frustration de sa vie personnelle dans le travail. Et surtout le travail des autres. L'exigence était un mot qui faisait bel et bien parti de son vocabulaire. Et si certains jeunes assidus devenaient presque contorsionnistes, d'autres finissaient les cours en pleurant.

Tout de noir vêtu, les cheveux attachés de façon négligée en une queue de cheval haute, l'Ecosse travaillait. Il remonta une des jambes de son pantalon et montra aux autres de quelle façon il fallait glisser en un grand écart juste. Puis alla appuyer sur toutes les épaules fénéantes. Et tiens ça c'était Tino qui n'avait pas voulu coucher avec lui, ça c'était Prusse qui répondait pas à ses messages, et ça Francis qui faisait chier. Une dernière pour Russie qui faisait un peu n'importe quoi. Sans le savoir, beaucoup des petits membres du club de danse avaient leur grand écart grâce aux prouesses de Tino, qui avaient tendance à bien énerver le roux avant les cours.

Les deux heures se déroulèrent sans trop de plaintes - ils avaient bien trop peur pour la ramener-. Lysander alla attraper sa bouteille d'eau et but quelques longues gorgées, attendant quelques élèves pour réviser les chorégraphies du spectacle qu'il avait préparé. Bien que son séjour à l'hopital l'ait exténué, il tenait à travailler, travailler pour oublier, et travailler encore.

Elle marchait dans le couloir, son sac se balançait négligemment au bout de son bras. Un air neutre sur le visage, elle avançait lentement, un pas après l’autre, la représentation typique de la fille qui ne sait pas quoi faire de sa journée à part traîner dans les locaux. Seulement, contrairement aux apparences, Elizaveta ne s’ennuyait pas. En même temps comment-voulez-vous vous ennuyer dans cette école de fou ?
En sachant qu’il y a toujours des petits malins prêts à faire des plans foireux qui se transformeraient en règlement de compte ?
Qu’il y a tellement de mâles excités au mètre carré que tomber sur un « couple » en train de pratiquer son sport préféré ne devenait même plus surprenant ?
Vraiment, la hongroise ne pourrait décidément pas s’ennuyer, tant que son appareil photo se trouverait au fond de son sac, du moins. Et puis d’abord, elle était en repérage pour le club photo. Officiellement du moins. Officieusement, elle espérait découvrir quelques sujets dignes de figurer sur ses clichés. Et avec l’activité de certains de ses chers camarades, on pouvait être relativement sûr de prendre quelques bonnes photos. Un peu floues peut être, mais à coup sûr très intéressantes.

Ou pas.

La première erreur d’Elizaveta fut de s’approcher de la salle d’où se déversait un flot de musique. La deuxième de lire la plaque qui mentionnait l’existence du club de danse, sur la porte. La troisième d’ouvrir légèrement cette porte…

-Istenem…

C’était l’Enfer avec un grand E à l’intérieur. Une orgie sado-maso. Avec dans le rôle du grand méchant sadique, un rouquin. Ou une rouquine. Un rouquine.
Bref, c’était le cours de danse de Lysander Hubble alias l’Écosse.
Bon j’arrête tout de suite les mauvaises langues, ce n’était pas la danse qui faisait froid dans le dos d’Elizaveta. Elle manquait carrément de talent, de goût et de passion pour cette discipline, elle l’évitait comme la peste, OK, mais elle n’en avait pas peur. C’était plus l’aura démoniaque s’échappant de l’écossais qui lui avait hérissé les poils sur les bras. Elle ne put s’empêcher de serrer les dents quand il appuya vigoureusement sur le dos d’une gamine. Ça avait fait « crac » … ?
Alors, n’importe qui d’un minimum censé aurait doucement refermé la porte et serait parti tout aussi discrètement. Parce que ce n’était clairement pas le jour à embêter l’autre travelo. Sauf que, d’abord Hongrie n’était pas n’importe qui. Et puis, elle ne pouvait s’empêcher d’observer avec un mélange de fascination et d’effroi les exercices de désarticulation qui étaient imposés à la classe. Comment le corps humain pouvait-il faire ça… ?
Après une petite demi-douzaine de crises de larmes, silencieuses évidemment, le cours finit par se terminer. Elizaveta put constater le soulagement sur les visages des élèves de Lysander. Tiens, certains se remettaient même à pleurer. La joie, sûrement…
Le problème c’est que, en voulant sortir le plus vite possible, les gamins l’avaient poussé à l’intérieur de leur salle de danse. Dommage pour elle.
Et, peut être aurait-elle pu encore partir sans se faire remarquer, si le mur du fond n’était pas constitué de miroir. Peut être. Souris Eli ! Et n'oublie pas que dans un combat à mort t'as l'avantage physique !

Spoiler:

I just want to be perfect.

Il ne l'avait pas vue. Maintenant que la salle était vide, il comptait réviser seul. Il attrapa sa bouteille d'eau et but quelques gorgées avant de s'étirer. Le rouquin avait désormais le simple besoin de danser. Et pourquoi ne pas en profiter, maintenant que son corps était parfaitement étiré. Chaque muscle était en mesure d'accepter les efforts que lui imposerait Lys. Il s'avança et éteignit la moitié des lumières. Il préférait la pénombre, l'effet était bien plus beau dans la glace, les ombres cachaient les traits des visages et dessinaient magnifiquement bien les corps.

Les corps et Hubble, comme une histoire d'amour. Toute sa vie tournait autour de cette notion bien particulière. De ses émotions jusqu'à ses histoires d'amour, son corps était au centre de l'équation. Et le laisser glisser et se tordre au rythme des musiques les plus fortes lui procurait un sentiment très particulier d'adéquation avec les notes, les accents, les cordes et les cuivres. Il aperçut une silhouette dans la glace. C'était sans doute un de ses élèves qui restait regarder. Certains les faisaient de temps à autres, et il était à mille lieux de se douter qu'Elizaveta était entré dans son antre.

Depuis que la fin des deux heures de tortures avait sonné, il avait oublié ses problèmes sentimentaux. Partis avec la douleur de ses gamins qui boitaient presque en sortant de la salle, mais tout de même fiers de ce qu'ils avaient réussi à faire ce jour là. Et maintenant que toute la tension qui habitait son corps avait filé, il pouvait se concentrer corps et âme à son art préféré, et celui dans lequel il se débrouillait le mieux.

Un coup de télécommande lança la musique. Une musique bien connue de tous, reflet d'un film traitant des rêves brisés et des dépendances les plus violentes. Un orchestre, des moments plus intenses les uns que les autres. Le tout était de savoir doser, et savoir se surpasser au bon moment. Sans oublier la rigueur de la discipline qu'il avait choisi pour danse Requiem For a Dream: le Neo classique. Son corps suivait les violons, principalement, et marquait les accents a grands renforts de sauts, piqués, arabesques, tours, tout ce qui pouvait l'entraîner ou couper net son élan, en fonction de la musicalité.

Non, danser n'était pas un sport pour fillettes. Sans parler de l'entraînement physique qui précédait la danse, c'était un travail d’interprétation énorme. Du théâtre sans parler, de l'intensité dans les membres, et pour seul connexion avec le public, le regard. C'était un art, un art où l'on se faisait volontairement du mal dans un soucis d’esthétisme pur. Un art où seule la perfection était acceptable. On ne remarquait de vous que vos défauts lorsque vous dansiez, et jamais vos qualités. Le travail n'est quasiment pas reconnu. Oui, il faut être parfait, et la perfection coûte cher. Des heures à tirer et allonger son corps, corps qui doit être filiforme au possible pour donner à la danse toute cette grâce. Un corps attentif, bourré de réflexes, bondissant.

Lys tentait de cumuler toutes ces choses à la fois, et en particulier lors de cette chorégraphie qui le faisait courir de part et d'autres de la salle, sauter le plus haut possible, s'écrouler au sol dans un bruit mat, pendant que ses articulations hurlaient d'arrêter cette folie. Mais il persévérait et se relevait en moins d'une seconde, les bras au ciel, esclave des sons qui jaillissaient des enceintes. Il avait bien entendu totalement oublié la personne derrière lui.

Oh, ton manège m’enchantait
Tournoyait
Autour du sentiment de
S’y noyer.

Hypnotisée. Les yeux fixés sur Écosse, Elizaveta respirait à peine, cessant même d’inspirer par moment. Il aurait été facile de tourner les talons et de prétendre ne jamais être venue ici.
Ne jamais l’avoir vu danser. Avec toute cette sauvagerie qui le faisait ressembler à un fauve par instant. Purement animal dans ses sauts, ses mouvements... Cette souplesse et cette énergie qui donnait l’impression à la hongroise de n’être qu’un roseau balayé par un vent imperceptible.
Et cette douleur qu’elle devinait... Comment pouvait-il encore danser ? Il devrait être brisé par la fatigue. En milles morceaux. Et pourtant il ne s’arrêtait pas, jetant seulement un regard dans la glace pour vérifier ce qu’il savait déjà.
Il était parfait.
Chacune de ses respirations collaient au tempo de la mélodie qui tonnait. Chaque pas, chaque saut, chaque tour tendait vers la perfection..
Et elle était là, figée par la beauté du mouvement qui ne s’arrêtait jamais. Une larme naquit dans son oeil droit et alla mourir au coin de ses lèvres sans qu’elle esquisse le mouvement de l’arrêter. Sans jamais ciller.
Mon Dieu...
Ses paupières finirent par battre nerveusement et, comme poussé par de la jalousie pure, elle planta son regard vert dans le miroir qui faisait face à Lysander. Cherchant à capturer les deux lumières vertes qui éclairaient le visage du danseur.
Respirer un peu plus fort ressemblait à un acte de défi. Elle mourait d’envie de briser sa concentration. C’était ridicule. Infantile.
Et puis... deux paires de prunelles vertes qui se croisaient dans un miroir. Qui s’accrochaient. Qui dansaient ?
Non.
Lysander ne la remarquait pas. Il était entièrement absorbé par la grâce extrême qu’il insufflait dans chacun de ses mouvements. Une impulsion, un courant, une énergie... Elizaveta ne savait pas, ne savait plus, comment décrire ce qu’elle voyait. Sa main se crispa sur l’objet qu’elle tenait dans sa main, si fort que ses phalanges en étaient blanches. La surprise mêlée de douleur la rappela à la réalité. Elle baissa les yeux sur sa main, oh ! seulement quelques secondes, avant de réaliser ce qui était en sa possession. Le meilleure moyen de fixer cet instant.
Lys et sa chevelure de flamme bridée en une queue de cheval. Sa beauté si étrange. La perfection de ses grands écarts, de ses jetés, de ses tours, de tout ce qui composait sa danse et dont il était si dur d’y mettre des mots.
La hongroise leva l’objet à son visage dans un geste vif qui aurait pu, lui aussi, s’approcher de la perfection. Tant de fois répétées... Presque machinalement elle vérifia le cadrage, la lumière, l’angle.
Ok. Ok. Ok.
Et elle attendit. Elle avait quelque chose en cet instant du chasseur qui s’apprête à tirer sur sa proie. Sauf qu’elle ne tuerait rien, elle. C’était carrément mieux : elle allait capturer. Un bon photographe sait exactement quand il faut appuyer. Un photographe exceptionnel le ressent. Elizaveta n’avait pas la prétention d’être exceptionnelle ni même une bonne photographe. Elle s’intéressait d’avantage à son sujet qu’à son style. Et pourtant, elle ressentit physiquement l’instant I.
Là.
Ce n’était pas un murmure mais un ordre. Violent. Un élan aussi sauvage que Lysander lorsqu’il rejetait ses cheveux en arrière avec la sueur qui perlait sur son front.

CLIC.

Wow. Plus de bruit qu’elle ne pensait... Et pourquoi la musique devait-elle baisser pile à ce moment là ?

Spoiler:

» Une entré ... Pas comme les autres.
» Un âne pas comme les autres ~ ♪ [Normalement terminée]
» Piste de danse
» Comme s'en aller sur un tapis volant
» Anikiiiiiiiiiiiiiii !!! X3 {en cours}